Monitorer, surveiller, piloter, contrôler, et même raconter une histoire : un tableau de bord bien conçu peut tout faire, à condition de comprendre son rôle dans la communication et la prise de décision.
L’accès à des informations fiables, claires et interprétables n’est pas l’apanage des technologies, mais bien celui de la décision. Comme l'illustre Anne Pezet en citant des archives de Saint-Gobain ( Les "french tableaux de bord" (1885-1975) ) : « Pour être un bon pilote, réactif et averti, le chef d'entreprise doit être informé, à l'instar du pilote d’un avion. »
Dans leur forme digitale, les tableaux de bord offrent une promesse d'optimisation des décisions basées sur les données. Multiples, dynamiques et connectables à plusieurs sources, ils résultent d'opérations complexes d'intégration, de traitement et de restitution de données combinant technologies et modèles métier.
Dans le contexte de la gestion des données BIM, nous avons choisi de généraliser l'usage des tableaux de bord à tous les assets exploitables via nos plateformes. Chaque utilisateur peut ainsi concevoir son cockpit en fonction de ses activités et des résultats qu’il souhaite obtenir.
Formaliser l'objectif d'un tableau de bord (le pourquoi) et le construire (le comment) est une tâche plus complexe qu’il n’y paraît, mais le bénéfice dépasse souvent les attentes initiales.
Un tableau de bord est un outil de synthèse visuelle permettant de représenter les informations clés nécessaires à la prise de décision et au pilotage de la performance.
Historiquement utilisé dans les domaines de la gestion et des finances, il s'étend désormais à toutes les activités, notamment avec la croissance exponentielle des données et la digitalisation des processus. La connaissance et le partage d’informations fiables en temps réel constituent les piliers de l’intelligence décisionnelle et de l’anticipation.
Quels que soient les processus BIM déployés, leur finalité commune est toujours l'amélioration des trois axes clés des projets de construction : le délai, le coût, et la qualité.
L'association du BIM à une démarche de performance, notamment via les tableaux de bord, permet de concrétiser cette amélioration en offrant une structure pour l'évaluation continue des objectifs. Les tableaux de bord transforment un objectif stratégique en un ensemble d'objectifs opérationnels mesurables à travers des indicateurs spécifiques et adaptés.
La vraie valeur ajoutée du tableau de bord réside dans cette capacité à traduire des objectifs abstraits en indicateurs concrets et mesurables tout au long de la chaîne de valeur. Cela permet non seulement de suivre la performance des processus BIM, mais aussi d'anticiper leur impact sur le projet global ou l'actif bâti, tout en fournissant un cadre clair pour l'évaluation des résultats.
In fine, un tableau de bord bien conçu ne se contente pas de regrouper des informations ; il les met en contexte, les rend exploitables, et devient un outil indispensable pour soutenir la prise de décision éclairée.
En pratique, nous avons identifié deux grands types de tableaux de bord : ceux qui sont conçus pour gérer les usages métiers du BIM, et ceux qui sont centrés sur la gestion des données du BIM.
Les usages métiers BIM concernent les différents acteurs, chaque phase du cycle de vie de l’ouvrage et peuvent se décliner en différentes tâches ou “unités opérationnelles” participant à la réalisation du projet telles :
La vérification de la conformité d'une conception au programme avant sa soumission ou validation.
Le suivi du cycle de vie de certains éléments de l’ouvrage pour des opérations telles que la validation, la commande, la fabrication, l’exécution, la réception, et la mise en service, ce qui permet d’adopter une approche proactive en matière de planification.
La gestion des coûts, garantissant que les dépenses restent alignées avec le budget initial.
La gestion de l’avancement des travaux, afin d’assurer le respect des délais prévus.
La supervision des conformités réglementaires, environnementales et techniques, garantissant que chaque aspect du projet respecte les normes en vigueur.
Pour chaque usage, et in fine l’ensemble des usages, le tableau de bord présente deux intérêts.
D’une part, il incite à décliner l’objectif initial en objectifs mesurables associés d’indicateurs, le processus BIM participe d’autant à l’excellence du métier, s’il s’apparente à un référentiel permettant d'apprécier la pertinence du processus.
A titre d’illustration, nous avons choisi le thème des “surfaces” pour vous imaginer un tableau de bord pertinent. La surface est une unité de référence fondamentale qui va servir plusieurs usages : expression de la répartition fonctionnelle des espaces durant toutes les phases, calcul des coûts, calcul énergétique, de capacité, etc. Son besoin d'optimisation continue passe par une analyse et une hiérarchisation des besoins ( fonctionnels, d’accès et de circulation) et des contraintes techniques ou réglementaires.
Réaliser un tableau de bord des surfaces doit permettre de valider la répartition des espaces en fonction des critères sus-définis et des objectifs financiers de l’opération.
Par exemple, si pour apprécier l’optimisation de l'espace, on choisit les indicateurs de l’efficacité d'utilisation et de sa flexibilité, l’idée est de les décliner en indicateurs plus opérationnels permettant des mesures chiffrées plus fine tels que proposés dans les schémas ci-après.
D’autre part, en partageant des informations pertinentes lors des revues de projet, le tableau de bord permet d’aligner les attentes et d’engager tous les intervenants. Le tableau de bord soutient ainsi les processus collaboratifs, tant en interne, au sein d’une même entreprise ou spécialité, qu'en externe avec tous les acteurs du projet.
Enfin, si en plus d’avoir identifié les bons indicateurs, le tableau de bord inclut des valeurs de référence résultant de projets réalisés ou de retours d’expérience, l’aide à la décision sera maximisée.
Pour renforcer la pertinence des indicateurs métiers, il faut également construire des indicateurs propres aux données des processus BIM, les données pour être vraies et utilisables doivent procéder d’une analyse de leur qualité voire même de leur gouvernance.
Du côté des données, le tableau de bord devient un outil de gouvernance des données BIM et de leur qualité. Sa nature digitale lui permettant d'interagir avec différentes sources de données, jeux de données ou encore outils d’analyse, il devient crucial de pouvoir garantir leur qualité.
Les règles de modélisation, de structuration des données dans les maquettes, de partage vont pouvoir faire l’objet de parsing, de vérification de complétude, de cohérence, de conformité et toute autre opération destinée à vérifier la qualité de la maquette ( ou au moins sa conformité au besoin exprimé).
L'intérêt du tableau de bord est de pouvoir restituer simplement les résultats d’une opération de contrôle sur une volume de données important et d’isoler les défauts ou manquement pour une correction plus rapide notamment.
Exemples :
Vérification de la bonne application d’un dictionnaire, d’une nomenclature pour les paramètres
Contrôle des types valeurs ( par ex, un calcul numérique ne peut pas être sous format textuel)
La validité, entendue comme la conformité des données aux règles dans leur structure et leur valeur, comme l'exhaustivité, comprenant toutes les données requises et leur métadonnées, sont donc les premiers critères de la qualité des données BIM.
Pour soutenir une stratégie BIM capable de promouvoir la transformation numérique des métiers, les critères de fraîcheur ( données à jour et disponibles), d’unicité ( absence de doublons) ou encore de cohérence des données ( absence de conflits notamment) seront indispensables à l'établissement et au pilotage d’un plan de gestion des données.
Tous ces éléments peuvent être traduits en tableaux de bord pour constituer un outil de gouvernance des données et fiabiliser leur exploitation.
A l’aune de l'automatisation des tâches, de la standardisation des processus et de l'interopérabilité (cf. normes ISO sur les dictionnaires de données de la construction, les données produits ou les exigences de communication des données carbone), les tableaux de bord deviennent des supports à privilégier pour structurer et tirer profit des données BIM, pour autant que l’on prenne le temps de les construire.
Plusieurs facteurs incitent à penser que les tableaux de bord seront généralisés et constituent le mode d'interaction idéale pour interagir avec les données. Face à la multitude de sources de données, connectées en temps réel, cet outil devient le moyen d’établir une connexion entre , d’un côté, des données et d’un autre côté: le domaine, les objectifs, les indicateurs de performance et les résultats de calculs, ce qui s’apparente à une modèle de connaissance (réutilisable).
Face à la démocratisation de cet outil, une méthodologie, que nous avons formalisée en trois séries de règles, nous a paru indispensable.
Parmi les bonne pratiques de conception de tableaux de bord, on retrouve des éléments constants parmi lesquels :
Définition du domaine
Définition de l’objectif / Mise en perspective avec la décision subséquente
Choix des bons indicateurs
Identification du destinataire
Temporalité
L'exercice consiste à les formuler de la manière la plus claire et explicite possible.
Tous les adeptes de la sémiologie graphique connaissent les travaux de Jacques Bertin fondés sur l’idée que “nos yeux appréhendent d’abord une image comme un tout“ (cf. https://www.icem7.fr/portrait/qui-est-jacques-bertin/ ).
Envisager le tableau de bord comme ce “ tout” implique également de choisir comment les données doivent être représentées graphiquement pour mettre en avant leur valeur informationnelle, tout l’enjeu de la visualisation des données est de transformer les données en information facilement interprétable à l’aide de graphiques, images, etc….
Même si, intuitivement, nous nous essayons tous à cet exercice qui peut être créatif, le graphique résulte des opérations effectuées sur les données et diffère selon qu’il s’agit de composition, de chronologie, de cartographie, de tendance, de classification, de distribution ou encore de comparaisons ou de tout autre opération.
Par ailleurs, la visualisation des données est un domaine à part entière, et je ne peux que vous recommander les travaux d’Aurélien Vautier (https://www.datavizclarity.com/).
Au vu de l'émergence du tableau de bord comme outil indépendant des sources de données, en plus de sa pertinence en termes de qualité informationnelle, chaque information clef du tableau de bord doit pouvoir faire l’objet d’une traçabilité permettant de renforcer la véracité des informations.
Derrière chaque espace d’information du tableau de bord, existe une vue modèle qui retrace le chemin de production de l’information.
Cette méthode permet d’aligner le tableau de bord avec toutes les possibilités d’exploitation des données, des schémas plus complexes pourront être créés tout en assurant la traçabilité des informations du tableau de bord.
L'IA est déjà présente pour nous assister dans la création de tableaux de bord, en facilitant la lecture et l’analyse des données, ainsi qu’en suggérant les modes de visualisation les plus adaptés. Par exemple, certaines IA peuvent automatiquement recommander des graphiques adaptés en fonction des types de données disponibles, comme des courbes de tendance pour suivre l'évolution des coûts dans un projet BIM ou des diagrammes circulaires pour la répartition des ressources.
À l’avenir, l’IA pourrait jouer un rôle encore plus grand dans l’évolution des tableaux de bord, en nous aidant à mieux exploiter les données disponibles. Elle pourra notamment devenir un support pour fournir des suggestions, générer des alertes, calculer des risques, et assister dans l'interprétation des informations. Par exemple, dans un projet de construction, l’IA pourrait détecter des retards potentiels grâce à l'analyse des délais passés et suggérer des ajustements de planification pour éviter des surcoûts.
Grâce à l'IA, les tableaux de bord ne se contenteront plus de refléter les données, mais proposeront des solutions concrètes pour améliorer la gestion de projets et anticiper les problèmes. Par exemple, une IA prescriptive pourrait proposer des mesures pour optimiser l'allocation des ressources ou ajuster les calendriers de livraison en fonction des événements imprévus.
En conclusion, penser le tableau de bord comme un outil intelligent, capable de guider et d’enrichir l'interaction avec les données, permet de fiabiliser les décisions tout en stimulant l'innovation. L'IA offre des perspectives concrètes pour automatiser certaines tâches décisionnelles, améliorer la gestion des risques et optimiser la performance globale.